Aller au contenu

PARTIE 4 LE MÉTIER DE PSYCHOMOTRICIEN, Construction des premières références théoriques de la psychomotricité (1947-2000) La psychanalyse et ses empreintes


Pour citer cet article : Renard Karine, « Construction des premières références théoriques de la psychomotricité », Partie 4, site personnel internet de l’auteure, karine-renard.fr, 24-02-2019, np.

Nous avons vu en parties 2 et 3 comment la gestaldt théorie et la psychologie du développement ont participé aux premières constructions théoriques de la psychomotricité comme pratique professionnelle de soin. Nous allons voir maintenant les éléments clés où la psychanalyse a laissé sa trace. Nous reviendrons au cours d’un article prochain sur les ancrages théoriques aujourd’hui et la place ( souvent polémique) de la psychanalyse.

La psychanalyse, dès 1945, influence la psychomotricité par l’éclairage qu’elle porte sur les pathologies, mais pas encore dans les pratiques. Les travaux de Sigmund Freud, comme ceux de Mélanie Klein, Anna Freud ou René Spitz ont modifié les regards sur la motricité par trois entrées principales. Le corps n’est plus seulement un lieu entre l’enfant et ses parents, soudés par la relation émotionnelle et sensorielle ou une source permettant la construction de l’intelligence instrumentale, il devient un corps lieu de plaisir. Il a des zones érogènes fluctuantes, investies d’une énergie, la libido, enfin, le mouvement et les fonctions sont correctement intégrées dans ce modèle uniquement si elles ont été d’abord investies par cette libido. Ainsi le corps pulsionnel s’invite comme corollaire du corps fonctionnel et attire l’attention des psychomotriciens vers un corps vibrant, lieu de désir et de plaisir.

La psychanalyse met en exergue la possibilité d’apparitions de pathologies sans origine anatomique, uniquement psychogènes ou émotionnelles, ouvrant la voie à la notion de pathologies psychosomatiques. Cette théorie fait florès et révolutionne le milieu psychiatrique de la première moitié du XXème siècle. Julian de Ajuriaguerra, figure historique de la construction de la psychomotricité, en modifie même les bases qu’il avait construites pour la psychomotricité. En parallèle, les observations de Spitz sur l’hospitalisme, ajoutent aux convictions de l’existence de liens entre affects et développement notamment moteur du bébé[1].

Donald W. Winnicott, pédiatre et psychanalyste, complétera ce champ nouveau en proposant un regard sur la relation mère-enfant et le développement de celui-ci. Il développe par l’observation clinique des postulats au développement harmonieux de l’enfant et de son entourage[2] :

  • L’individu et son environnement (mère/père) vu comme un ensemble,

  • La « préoccupation maternelle primaire » signe un état particulier de la mère, intuitif, protecteur et garant d’une continuité d’existence pour le nourrisson,

  • La mère « suffisamment bonne » qui reprend une distance d’avec son enfant mais lui confère un lien solide malgré tout,

  • La fonction miroir de la mère, qui tout offrant les premières identifications à l’enfant, renforce la mère dans sa fonction,

  • Les fonctions maternantes : le holding (lié au portage physique, il participe au sentiment de continuité de soi), le handling (au cours des soins de nursing, l’enfant expérimente le toucher et les affects, les associe pour une construction psychique), l’object presenting (mode de présentation des objets par la mère à l’enfant, déterminant de ses relations avec l’environnement),

  • La capacité à être seul 

  • L’objet transitionnel et l’espace transitionnel : vecteurs d’individuation de l’enfant.
  • La motricité mise en jeu : Winnicott en dresse les propriétés d’autonomisation, de créativité, d’apprentissage des règles sociales, etc…

La psychanalyse croise l’éthologie, la psychologie et la psychiatrie en la personne de John Bolwby. En 1949, il travaille à une étude qui donnera naissance à la théorie de l’attachement. Il conclut sur cinq compétences innées du nouveau-né indispensables à la construction d’un attachement essentiel de l’enfant à une personne qui lui fournira cohérence et continuité sous forme d’une attention sensible, notamment les deux premières années de sa vie : la succion, l’accrochage au corps, les pleurs, le sourire, le suivi du regard. Bernard Golse nous rappelle qu’Anzieu y ajoutera « la concordance de rythmes »[3].

La psychanalyse propose un nouveau regard sur la relation interactive de soin. Si elle suscite cette adhésion c’est aussi car elle propose de regarder et de soigner la personne en tant que sujet singulier. Cette attention se porte sur ses vécus en propre, sur le sensible entre ce qui vit le sujet et son entourage. Un espace nouveau est donné au sujet par l’écoute de son expression, « pour son affirmation et son avènement »[4]. Les psychomotriciens ne pouvaient qu’adhérer à cette approche somme toute très innovante.


[1] Spitz, René, « Hospitalism », Psychoanal Study Child, 1945, n° 1, pp. 53-74.

[2] Winnicott, D. W., L’enfant et le monde extérieur. Paris, Petite bibliothèque Payot, 1972 ; Winnicott, D. W., (1957), L’enfant et sa famille. Paris, Petite bibliothèque Payot, 1981, Winnicott, D. W., (1971), Jeu et réalité, Mayenne, Gallimard, 1999.

[3] Golse, Bernard, « La pulsion d’attachement », La psychiatrie de l’enfant, 2004/1, n° 47, pp. 5-25, p. 9.

[4] Basquin, Michel, cité par Raoult, Patrick-Ange et all, Psychologie clinique, psychanalyse et psychomotricité. Question épistémologiques autour d’une praxis à médiation, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 12.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *