Aller au contenu

PARTIE 1 : LE MÉTIER DE PSYCHOMOTRICIEN, PREMIÈRES FONDATIONS DE LA PSYCHOMOTRICITÉ COMME SOIN

Pour citer cet article : Renard Karine, « Repères historiques et chronologiques de la psychomotricité comme soin », site personnel internet de l’auteure, lescarnetsdesentiers.com, 19-02-2019, np.

Le métier de psychomotricien est le fruit d’une élaboration lente, appuyée par quelques pionniers convaincus du bien-fondé de cette approche particulière du corps avec le corps, celui de la personne soignée et celui du soignant. Cette construction débute à l’aube du vingtième siècle et se poursuit encore actuellement. Elle est traversée par différents courants théoriques majeurs qui s’éloignent parfois les uns des autres, se rassemblent pour laisser place à la psychomotricité en tant que métier de soin. C’est par la clinique et pour répondre aux besoins des personnes accueillies que le métier s’échafaude au fil du temps. Des figures majeures l’ont formalisé, laissant trace parfois sans en avoir conscience dans l’instant. La reconnaissance de cette profession est liée également à un enseignement qui, avec des appuis légaux a consolidé sa légitimité. L’évolution souhaitable s’oriente maintenant vers une insertion dans la dynamique universitaire officielle par un cursus licence-master-doctorat[1]. L’évolution de l’enseignement de trois ans actuellement à cinq ans est également recherchée.

Les étapes décrites dans les parties suivantes sont le reflet des moments les plus marquants de l’histoire de la thérapie psychomotrice et des mouvements théoriques qui l’ont traversée et l’animent encore. Ces modélisations sources de la psychomotricité ont toutes un même objectif : corriger ou apporter des améliorations au développement corporel harmonieux de l’être humain. Elles ouvrent des voies de compréhension sur les pratiques psychomotrices d’aujourd’hui. Ces approches parfois différentes sont également intimement liées aux différents courants qui ont marqué la théorisation du corps, les évolutions majeures en psychologie, en psychiatrie, en neurologie et de leurs liens interdisciplinaires. De la volonté sociale du corps « droit » de l’après-guerre à l’expression libératrice du sujet, le cheminement de la psychomotricité et de ses références est pluriel. La thérapie psychomotrice prend une place singulière dans le champ paramédical car elle s’attache au corps et à ses mouvements dans l’espace et le temps, à son développement, à son être et à son avoir. Ce corps pertinent pour les psychomotriciens est pour lui toujours organisé autour de trois éléments majeurs : le corps mécanique (lié à la production du mouvement, en état d’équilibre de ses systèmes physiques), le corps énergétique, en action (lié à ce qui anime le corps et lui permet des échanges intérieur et extérieur) et le corps somatique (ce qui lui donne forme et fonction). Jean le Camus, psychomotricien et docteur ès lettres aura cette première expression pour qualifier ces trois corps en un corps : « la superstructure »[2]. Il nommera plus sérieusement l’assemblage de cette triade « corps subtil »[3], comme pour en souligner à la fois, la force, la douceur et la complexité.

Les fondations de la psychomotricité

La création du mot « psychomoteur »

Jean-Michel Lehmans nous apprend[4] qu’en 1843, à partir de ses observations de patients, W. Griesinger, utilise le mot « psychomoteur » comme symptôme dans l’hypotonie d’une personne déprimée. L’adjectif « psychomoteur », est utilisé à nouveau vers 1870 suite aux travaux d’E. Hitzig, psychiatre et G. Fritsch, anatomiste, pour nommer les régions de l’écorce cérébrale liées aux aires purement motrices. Stimulées électriquement, ces nouvelles zones repérées, suscitent « des contractions musculaires dans la moitié opposée du corps »[5]. Se réalise également à cet endroit, une connexion entre l’image mentale et le mouvement. Les centres psychomoteurs étaient alors ce que Georges Vigarello appelle « la mince portion d’espace où se réalise le passage d’une idée à son investissement corporel »[6]. Il souligne en ces termes ces centres neurologiques localisant une articulation, certes observée expérimentalement, mais sans connaissance réelle de la manière dont ces processus entre psyché et motricité s’accordent.

L’affaiblissement du dualisme corporel

Le dualisme né d’une conception d’un corps clivé entre son esprit et son corps charnel est, depuis l’origine du métier la cible préférée des psychomotriciens, parfois dans une obstination étrange et caricaturale. Descartes, pourtant, pointe déjà en son temps le caractère sensible du corps par ces mots : « la nature m’enseigne par ces sentiments de douleur, de joie, de soif, etc… que je ne suis pas seulement logé dans mon corps, […], mais outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement, et tellement confondu et mêlé que je compose comme un tout avec lui »[7]. Le psychomotricien ne trouverait rien à redire à une telle affirmation. Mais Descartes ne s’arrête pas là. Il ne « distinguait point l’esprit de l’âme »[8], affirmation peu scientifique pour nos chercheurs et peu crédible pour nos psychomotriciens en quête d’unité corporelle. Cette croyance digne de foi procure de la confusion autour de la notion de sensible et d’affectif qu’il développe par ailleurs. De plus, le corps trop instrumentalisé ne pouvait pas résister aux connaissances actuelles. Les psychomotriciens ont, depuis le début, pressenti que le corps n’était pas cet objet utile et asservi à la psyché, instance de contrôle supérieur, « une chose qui participe à rien de ce qui appartient au corps »[9].

Prémices d’une approche unifiée du corps (1860-1950)

Cette ouverture a d’abord été créée par les constats médicaux :

La pathologie corticale mise à jour par Paul Broca ouvre la voie. L’aphasie (1861) montre qu’une atteinte est possible sans localisation réelle d’une lésion au cerveau. Ce ne sont pas les fonctions elles-mêmes qui sont altérées mais l’utilisation de la fonction.

La neurophysiologie emboîte le pas quand, en 1906, les travaux de Charles Scott Sherrington montrent l’utilité des mouvements en tant que réflexes de protection biologique du corps :

  • Réflexe nociceptif de flexion pour la protection du corps,
  • Réflexe myotatique d’extension servant le redressement de l’axe et la posture debout.

La neuropsychiatrie enfin, bouleverse les idées dualistes en la personne d’Edouard Dupré, qui, en 1915, décrit la première déséquilibration motrice qu’il intitule « débilité motrice »[10], la reliant à la débilité mentale. Il la tient comme congénitale ou se révélant très précocement. Mettant en lien les anomalies motrices et le développement psychique, le syndrome qu’il décrit in fine, comprend des exagérations et des perturbations des réflexes ostéo-tendineux, des syncinésies et des paratonies. Ces apports sur l’étiopathogénie du syndrome, l’approchant du développement normal du nourrisson et de ses capacités l’amène à introduire la notion de différents degrés entre le normal et le pathologique. Cet ensemble représente un tableau clinique d’un déficit psychomoteur qui fait de Dupré l’ancêtre des travaux sur les troubles psychomoteurs identifiés.

Ces trois axes sont significatifs d’une avancée vers une organisation du corps non dualiste, de plus, pourvue d’un système où la motricité prend une place active.

Premières pratiques psychomotrices identifiées

Dès la fin du 19ème siècle, nous pouvons esquisser les débuts de la pratique psychomotrice par une approche qui se veut globale et conceptuelle d’une recherche de résolution entre corps et problématiques psychologiques. Philippe Tissié (1852-1935), en est le précurseur. Médecin neuropsychiatre, il crée la gymnastique médico-psychologique. Il travaille pour l’avènement d’une autre forme d’éducation physique, convaincu que des liens ténus existent entre le psychisme et la motricité. Il nomme sa pratique innovante « psycho-dynamie »[11]. Il l’utilise contre les tics, phobies, spasmes et autres maladies nerveuses qui auraient pour origine la volonté. Il innove par sa conviction qu’il faut « assurer l’entraînement des centres psychomoteurs par les associations multiples et répétées entre le mouvement et la pensée et entre la pensée et le mouvement »[12]. Cette thèse volontariste se complète par une prise en compte de la zone du cerveau où se conjuguent l’idéation et l’ordre moteur. L’aboutissement de cette approche souligne le renforcement de la dialectique des exercices corporels et de la pensée, soumise à la volonté.

Edouard Guilmain (1901-1983), professeur en classe de perfectionnement, travaille pour sa part sur les exercices corporels qui permettraient de résoudre les problèmes psychologiques. Il s’oriente ainsi dans une démarche soignante. Guilmain transcrit son travail dans un manuel qui s’adresse à des enfants dont la scolarité est mise à mal. Il s’intéresse à une autre population qui souffre conjointement de problèmes moteurs et dits de caractère. Ils sont en échec scolaire, inadaptés socialement. Guilmain porte son attention sur le tonus et les troubles moteurs qui, d’après lui, sont les leviers les plus simples pour adoucir le caractère de ces jeunes. Il souhaite « reconstruire le soubassement du comportement d’un individu par la combinaison de son activité posturale, de son activité de relation et de son activité intellectuelle »[13]. Sa pratique passe initialement par des exercices posturaux, d’équilibre et de contenance des expressions faciales, puis vient le développement de la coordination. Les réactions émotionnelles sont atténuées par des exercices de maîtrise. En dernière partie, la capacité de raisonnement est constamment mise en avant par des exercices qui allient le rythme, les mouvements en symétrie, en dissymétrie, en asymétrie. Guilmain s’inspire des travaux d’Henri Wallon et fait sien ces propos : « ne pas céder aux émotions, c’est avoir acquis l’aptitude de leur opposer l’activité des sens et de l’intelligence »[14]. Il initie l’examen psychomoteur dès 1935 et s’attache à proposer des indications, des actions à mener, des objectifs, etc… Il publiera en 1948 son ouvrage les tests moteurs et psychomoteurs[15]. Ceux-ci serviront d’ailleurs ultérieurement à Gisèle Soubiran pour l’élaboration du premier bilan psychomoteur. Guilmain propose son modèle intégrationniste afin de parachever l’intégration de moyens plus complexes dans le système nerveux et suppléer ainsi aux fonctions archaïques, plus présentes naturellement à son avis. Son développement théorique se heurtera pourtant à la critique de Wallon qui pointe un modèle un peu trop réducteur de ponts entre le mouvement et l’intelligence. En effet, Wallon, dans ses travaux, n’oubliait pas les versants sociaux, les relations de l’enfant avec autrui et son environnement.

Par ces constructions initiales, la psychomotricité s’inscrit dans des tentatives plus ou moins fructueuses de rapprochements entre la clinique, la psychologie biologiste de Wallon, l’éducation physique et la neurologie. Une amorce de relation entre ces différents champs se dessine.


[1] Voir à ce sujet les échanges et pétitions : https://www.mesopinions.com/petition/sante/defense-diplome-psychomotricite-niveau-licence/8815

[2] Camus, Jean, le, Pratiques psychomotrices, Paris, Mardaga.

[3] Camus, op cit.

[4] Lehmans, Jean-Michel, « Charcot, Freud : le rendez-vous manqué à la Salpêtrière », Évolutions psychomotrices, n° 50, 2000, pp. 171-176.

[5] Hecaen, Henri, Jeannerod, Marc, Du contrôle moteur à l’organisation du geste, Paris, Masson, 1978.

[6] Vigarello, Georges, « Evolution et ambiguïté de la référence savante dans les pratiques psychomotrices », Travaux et recherches INSEP, n° 4, 1979, pp. 29-35.

[7] Descartes, René, Méditations métaphysiques, (1641), Paris, Garnier Flammarion, 1979.

[8] Descartes, op cit.

[9] Descartes, op cit.

[10] Dupré, Edouard, Merklen, P, La débilité motrice dans ses rapports à la débilité mentale, apport au 19ème congrès des aliénistes et neurologistes français, Nantes, 1909.

[11] Camus, op cit.

[12] Tissié, Philippe, L’éducation physique, Paris, librairie Larousse, 1901.

[13] Guilmain, Edouard, Fonctions psycho-motrices et troubles du comportement, Paris, Foyer central d’hygiène, 1935.

[14] Wallon, Henri, Les origines du caractère chez l’enfant, Paris, Puf, 1972, 4ème ed.

[15] Guilmain, op cit, 1948.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *