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PARTIE 2 – LE MÉTIER DE PSYCHOMOTRICIEN, Construction des premières références théoriques de la psychomotricité (1947-2000) LES APPORTS DE LA GESTALT THEORIE

Pour citer cet article : Renard Karine, « Repères historiques et chronologiques de la psychomotricité comme soin », Partie 2, site personnel internet de l’auteure, lescarnetsdesentiers.com, 19-02-2019, np.

Le contexte sociétal

Dans la seconde partie du 20ème siècle, la conception du corps et notamment celui de l’enfant et de son devenir évoluent. Il est destiné par le truchement de la médecine et de l’éducation physique, à être, comme Juvénal Mens le décrit dans la dixième satire : sana in corpore sano, « un esprit sain dans un corps sain »[1]. Cette logique répond à des impératifs de corps droit, avec des critères d’esthétique, de perfection, d’endurance et de vitalité. La traque des maladies et des épidémies renforce ces mesures (comme la tuberculose). Cette approche du corps, bien que toujours en partie actuelle, est complétée au fur et à mesure par des mouvements de pensées différentes. L’évolution de la société et de sa considération du sujet humain se nuance à mesure que l’on cessera de croire que l’enfant s’éduque grâce à un renforcement de la volonté et à un autoritarisme primaire. L’enfant est peu à peu perçu comme une personne qui se construit au fur et à mesure du temps et agit en intersubjectivité. Concomitamment, la psychomotricité balbutiante réagit et se modèle également sur ces idées de constructions interactionnistes. Mais l’éducation atteint ses limites avec les enfants dits « attardés », hors normes. Elle demande alors l’aide de la médecine. Les enfants ainsi que les adultes désignés asociaux sont mis au centre du dispositif de prise en charge. C’est à la fin de la deuxième guerre mondiale que le travail de Guilmain est en partie utilisé à nouveau.

Les échecs scolaires sont encore à l’origine des réflexions quand en 1947, le Dr Launay explique à Paris les résultats d’une évaluation sur les enfants retardés. Cette recherche conclue sur trois axes distinguant les retards potentiels : la déficience mentale, les erreurs pédagogiques et les relations de l’enfant avec son environnement. La psychiatrie et la psychologie sont sollicitées pour trouver des solutions. Des centres spécialisés sont créés (centres psychopédagogiques, classes de perfectionnement, cliniques psychothérapiques infantiles). La psychologie entre officiellement sur la scène de la pédagogie et de la rééducation.

Le concept de psychomotricité prend son essor. Il se déploie notamment par les apports de la phénoménologie et de la psychologie de l’enfant, puis après 1960, par la place importante prise par la psychanalyse.

Les apports de la Gestalt phénoménologique

La Gestalt-théorie porte une attention particulière aux phénomènes physiques, physiologiques et psychologiques, qu’elle nomme « forme ». La perception y prend une place de choix mais également l’organisation de la personnalité où les travaux de Lewis (1890-1947) sont notables et reconnus. Ces travaux inspirent les psychomotriciens et donnent lieu à des conceptualisations dont nous retiendront particulièrement celles-ci : le schéma corporel, le rapport au corps singulier et le mouvement.

Le schéma corporel 

Le schéma corporel est une référence élaborée par des neurologues et des psychiatres au début du 20ème siècle pour nommer la somme des expériences corporelles de l’individu. C’est à Paul Schilder notamment, psychiatre autrichien que ce concept[2] est accolé. Il propose une conception oscillante entre l’héritage neurologique d’Henri Head et celui libidinal et fantasmatique de Sigmund Freud. Il dit lui-même s’inscrire dans la lignée de la phénoménologie de Husserl et de Merleau-Ponty. Dans sa traduction de l’ouvrage de Schilder, François Gautheret apporte ces précisions : « de la philosophie de Husserl, il reste très perceptible une très fine notion clinique que l’on appréciera en tout ce qui concerne les sensations et impressions corporelles »[3]. Les ouvrages emblématiques de Michel Bernard (1972) et de Jacques Corraze (1973) sur le schéma corporel continuent de jalonner ce concept. Les psychomotriciens se l’attachent dès lors et le considèrent comme une priorité dans leur pratique.

L’être au monde du sujet

MauriceMerleau-Ponty, philosophe phénoménologue (1908-1961), aborde une conception différente des conduites de l’homme. Sans Dieu, le primat de sa réflexion s’impose sur l’idée que l’homme ne vaut que pour ce qu’il met lui-même en œuvre, à partir de ce qui lui est proposé. Les deux ouvrages qui nous semblent avoir eu le plus d’impact sur les psychomotriciens sont « Structure du comportement »[4] et « Phénoménologie de la perception »[5]. Merleau-Ponty affirme que le comportement, résultat d’une structuration, et que l’acte, sont des révélateurs de notre subjectivité et de notre rapport au monde, non réductible à une fonction cognitive ou intellectuelle. Certaines phrases célèbres sont utilisées dans les manuels d’enseignement comme repères conceptuels, guidant le positionnement des psychomotriciens : « être en conscience, ou plutôt être une expérience, c’est communiquer intérieurement avec le monde, le corps et les autres, être avec eux plutôt qu’à côté d’eux »[6] ou « Je ne suis pas devant mon corps, je suis dans mon corps, je suis mon corps »[7]. Les repères de Merleau-Ponty nous seront également précieux dans notre recherche.

Le mouvement

Buylendijk, physiologiste, utilise la phénoménologie et la Gestalt pour édifier une approche fonctionnelle du mouvement. Il propose, non pas de regarder le mouvement comme l’œuvre d’un segment mais de voir des « hommes qui se meuvent »[8]. Il intègre une relation fonctionnelle directe entre l’individu et son environnement. Les mouvements deviennent des « relation(s) et des valeurs vitales, comme des formes du comportement et des rapports de situation, comme des prises de position, des actions et des réactions »[9]. Il rassemble la psychologie et la physiologie et souligne que « la saisie du sens des mouvements se situe dans une sphère neutre du point de vue psychophysique »[10]. De plus, il fait une distinction notamment conservée par Jean le Camus dans ses travaux ultérieurs sur les objectifs de la pratique psychomotrice, à savoir l’action et l’expression (qui ont un but, un devenir) et l’expression et la figuration (non liées à un objectif, qui sont des manières d’être au monde et en lien avec le contexte du sujet). Camus y ajoutera leurs caractères : « dans le premier cas, le corps est « producteur et consommateur d’énergie », alors que dans le second, le corps est d’abord « émetteur et récepteur d’informations »[11]. Nous retrouvons ici son idée du corps subtil, parcouru de flux qu’il nomme énergétiques ou que je dirai « sensibles », tout en soulignant l’idée de mouvement associée.


[1] Juvenalis, Decimus, Junius, Satires, X, trad. Clouard, Henri, 90 à 127 ap. JC, Paris, Garnier Frères, 1934, pp. 346-366, p. 356.

[2] Schilder, Paul, L’image du corps, traduit et préfacé par Gautheret, François, Paris, Gallimard, 1968.

[3] Schilder, op cit, p. 12.

[4] Merleau-Ponty, Maurice, Structure du comportement, Paris, Puf, 6ème éd, 1967.

[5] Merleau-Ponty, Maurice, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.

[6] Merleau-Ponty, op cit, Phénoménologie de la perception, p. 113.

[7] Merleau-Ponty, op cit, Phénoménologie de la perception, p. 175.

[8] Camus, op cit, p. 37.

[9] Buytendijk, FJJ, Attitude et mouvement, Paris, Desclée de Brower, 1957, p. 46.

[10] Buytendijk, op cit, p. 46.

[11] Camus, op cit, p. 39.

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