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SANCTIONNER N’EST PAS PUNIR

Les règles, parfois vécues comme des contraintes, jalonnent la vie. La plupart existent pour vivre ensemble. Les règles de vie communes sont des éléments structurant la vie quotidienne, à la maison, mais aussi dans tous les pans de la vie collective. Ces règles permettent d’intégrer les normes (entendus comme ce qui vaut pour le plus grand nombre) mais elles sont également structurantes, indispensables pour la construction psychologique et psychocorporelle de l’enfant. A condition de les transmettre à bon escient. Si la règle est juste, le parent, le professionnel trouvera les mots et la fermeté si besoin pour les faire respecter. Il devra aussi savoir comment, mais surtout pourquoi poser une sanction quand ce sera nécessaire[1]. Pour différentes raisons, les enfants, les adolescents et les adultes mettent souvent les règles à l’épreuve.

Sanctionner est donc régulièrement une nécessité, notamment dans le cadre de l’intervention spécialisée, de l’enseignement. La sanction permet de reconstruire un repère menacé et de poser un acte éducatif ; Sanctionner c’est aussi éduquer : « c’est ce qui unit et qui libère »[2].

Une personne transgresse les règles pour plusieurs raisons :

  • Expérimenter, vérifier les limites
  • Attirer l’attention et ainsi vérifier sa propre existence aux yeux d’autrui
  • S’opposer pour s’affirmer
  • Exprimer des besoins qui ne sont pas entendus
  • Remettre en question un fonctionnement, objecter pour faire évoluer un système.

La sanction est à distinguer de la punition. Dans le cadre d’une punition, la personne est mise en situation d’impuissance et de soumission. Dans celui de la sanction, la personne est mise en situation de confrontation avec la réalité de son environnement, et à sa place au sein de celle-ci. L’action est dirigée sur les origines de la transgression plutôt que sur ses effets, et nous ne nous en prenons pas à la personne mais à ses actes (contrairement à la punition).

Jean-Marie Gauthier a répertorié les différentes punitions et leurs effets délétères :

  1. La punition pour expier (soigner le  mal par le mal… les coups …)
  2. La punition « signe » : c’est la reconstitution par le jugement qui est visé, l’humiliation, la honte, il s’agit de montrer du doigt le puni, en le stigmatisant
  3. La punition « exercice » : copier 100 fois … elle « dresse » en étant pénible, elle exige rigueur sans penser…
  4. La punition « bannissement » : le renvoi de la classe par exemple, la transgression est un délit dont le corps est évincé

La punition, injuste, humiliante et irréfléchie par celui qui la pose peut générer des dommages psychologiques importants et entraver le développement psychoaffectif, psychocorporel de l’enfant. Elle atteint sa confiance en lui, et freine ses actes, l’assujettissant à celui qui prend le pouvoir sur lui. Elle est fortement préjudiciable à la personne humaine et à son devenir.

Pourquoi la sanction est un acte éducatif ?

Contrairement à la punition, la sanction ne repose ni sur l’humiliation ni sur la honte… Elle s’appuie sur la frustration, la réparation plus un geste ou un signe en direction de la victime ou du groupe. Sanctionner doit être constructif pour le présent et l’avenir de la personne. Elle évite le renouvellement de la transgression.

En tant que parent ou professionnel, pour basculer de la punition à la sanction, il faut  « sortir de l’impasse entre autoritarisme et permissivité » et changer de posture en tant qu’adulte réfléchissant. Être un adulte solide pour : –  ne plus avoir peur de ne pas être aimé par l’enfant – être une personne contre qui l’enfant peut s’appuyer, s’étayer, se confronter – être une personne qui fait alliance avec l’enfant.

En tant qu’éducateur, enseignant, ou parent,  il faut souvent se résigner à la sanction éducative. Elle n’est pas un équivalent de la sanction pénale. En effet, il y a une spécificité de l’espace scolaire comme du milieu familial : ce sont des lieux de transmission entre des adultes et des enfants. Hanna Arendt ajoutait à ce propos que « l’école n’est pas le monde », mais un lieu d’exercice, de répétition, d’hospitalité.

Il n’y a pas de honte à sanctionner, alors que c’est souvent ressenti ainsi par les parents, voire par les professionnels, pourtant il ne faut pas avoir peur de poser une sanction quand celle-ci est nécessaire et justifiée, elle sera structurante pour l’enfant. A condition de ne pas se tromper d’objectif : poser une sanction n’est pas fait pour assoir sa propre posture d’autorité mais pour accompagner l’enfant vers une personnalisation, une confiance en soi, une inclusion dans la société et ses normes, tout en conservant sa liberté de penser.

Entre une sanction et une punition, la différence repose sur la manière de « regarder »[3] l’Autre, (l’enfant, l’adolescent, l’adulte qui a transgressé une règle), sur la façon de le considérer. La sanction s’adresse à un être humain considéré comme éducable, capable de toujours progresser, équivalent en droit et en humanité à soi et à toute autre personne, quelle que soit son âge et ses compétences. Par principe, (hormis les interdits fondamentaux)[4], chacun a droit à l’erreur par rapport aux apprentissages ou à des difficultés de comportement. Toute sanction justement posée est à penser en tant qu’occasion d’éducation, tout acte perturbateur doit recevoir une réponse (mais par exemple une parole posée est aussi une réponse).

La sanction a trois objectifs majeurs :

• Politique : la sanction souligne la loi qui prévaut. Ce n’est pas le pouvoir de l’adulte qui est le plus fort mais bien la loi qui relie et fédère le groupe.

• Éthique : Elle renvoie aux valeurs et aux principes, l’objectif éthique est de faire évoluer la personne en sujet responsable, conscient de sa responsabilité et des conséquences de ses actes.

• Psychologique : la sanction est un marqueur psychique. Il définit une limite face à un comportement inadapté. C’est un couperet à la boucle destructrice « faire mal / se faire mal ». C’est aussi le moyen pour la personne de structurer ses sentiments de culpabilité, de honte. Ce sont des freins sains quand ils sont intégrés justement. Ces sentiments appuient la réconciliation avec soi-même.

La question à se poser pour le parent, le professionnel reste celle-ci : « comment employer la contrainte pour faire évoluer la personne vers plus de liberté ? Comment relier la sanction avec l’éducation pour que ça se transforme en un moment éducatif ?

La sanction revêt deux formes essentielles :

La frustration : par exemple imposer que la personne se mette à l’écart et retrouve son calme par ses propres moyens, réfléchisse à son comportement. Il s’agit de poser aussi les conditions de la réintégration au groupe : quand il sera telle heure, ou que l’aiguille sera sur le xxx, quand tu sentiras que tu peux revenir, reprendre ton ouvrage….

La réparation : elle repose sur un principe de consentement. Une réparation exige d’être voulue par celui qui a fait la faute. Le consentement est fondamental car il est en soi une reconnaissance de l’erreur de de ses conséquences. La réparation doit demander un effort. Et cela doit être jugé de façon suffisante par celui qui a transgressé mais il peut être utile que ce le soit aussi par la victime. La réparation n’est pas juste une injonction, un ordre de faire, elle doit être soutenue et guidée. Elle n’est pas le miroir de ce qui a été cassé, tout ne se répare pas à l’identique (éviter de générer un fantasme démiurgique, je casse, je répare ; je fais mal je demande pardon de façon facile et systématique, etc…). En sus, il est important d’accompagner la volonté ou la possibilité de s’amender.

La sanction est éducative dans le sens où elle va restaurer une relation altérée par une souffrance commise de l’un sur l’autre. La victime s’en trouve soulagée, et l’agresseur apaisé se sentira pardonné par son action de réparation.

La proposition de la réparation peut revenir à l’agresseur, ensuite à l’agressé d’en disposer ou de refuser. L’éducateur recherche une conciliation juste et un terrain d’entente. Cela ne fonctionnera que si chacune des parties ressent l’honnêteté et la sincérité dans les actes.  Parfois la réparation est immédiate de la part de l’agresseur, s’il prend conscience de son erreur dans ce cas la sanction est inutile, un simple rappel à la loi peut suffire éventuellement.

La sanction au sein des groupes

Le sens partagé de la sanction doit être visible par tous, formulé par un adulte pratiquant si possible l’écoute active. Autant que possible, c’est constructif de poser les règles en co-élaboration avec les enfants. Car s’ils participent au cadre, en co-construisent les règles, elles seront d’autant plus justes et d’autant plus acceptées par tous. Ils ont le droit de remettre en cause ces règles dans un cadre défini, de les faire évoluer. Ils peuvent élaborer les réparations et apprendre à juger de la sévérité, de la souplesse des actes. L’engagement responsable en est renforcé. Mais il est préférable que les interdits, les sanctions restent du ressort de l’adulte. A chaque âge le poids de ses responsabilités, inutile d’en ajouter plus qu’il n’en faut.

La sanction selon les âges

La sanction doit être proportionnelle à la transgression et à l’âge de l’enfant, à sa capacité de compréhension. Par exemple dans le cas d’une sanction par la frustration, il peut être utile de mettre un enfant à l’écart, assis par exemple en bas de l’escalier, 1 minute par année (5 ans, 5 minutes).

Bien évidemment, tout est affaire d’équilibre, les interdits seront moins nombreux que les actes permis, ce qui est sanctionnable doit être bien identifié, identifiable et raisonnable. La sanction peut être immédiate ou différée, il est souvent salutaire de différer plutôt que d’agir sous le coup de l’émotion. La sanction doit absolument être accompagnée d’une parole qui l’explique.


[1] Rappelons qu’en milieu scolaire ou d’éducation, certaines sanctions ne sont pas souhaitables (sanction collective) ou franchement illégales : châtiments corporels, privation de récréation,  pensums, piquet, munitions multipliées (circulaire du 15 juillet 1890).

[2] Reboul, Olivier, La Philosophie de l’éducation, PUF, « Que Sais-Je ? » 9e édition, Paris, 1989.

[3] « Le regard, sa dimension soignante et éducative » Site internet personnel de Karine Renard, https://www.karine-renard.fr/le-regard-sa-dimension-soignante-et-educative/

[4] Interdits fondamentaux sont les transgressions qui interpellent la loi : inceste, cannibalisme et meurtre. Dans le cadre de l’éducation, le cadre des interdits se posent en tant qu’interdiction de se faire justice soi-même,  et/ou être juge et partie, porter atteinte à soi-même et aux autres, détruire le matériel.

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